La directive CSRD redistribue les cartes du reporting extra-financier et du dialogue social.
En France, cela s’accompagne d’une obligation de consulter au moins une fois le CSE sur les informations de durabilité et sur les moyens de les obtenir et de les vérifier. Voici un guide opérationnel, conçu pour les DRH, responsables RSE, juristes, DAF et élus du CSE, afin de clarifier le qui/quoi/quand et de mettre en place un processus solide, sans surcharger vos équipes.
CSRD : rappel express (et pourquoi le CSE est concerné)
La CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) élargit considérablement le périmètre du reporting de durabilité en Europe. Elle impose une déclaration de durabilité normalisée (intégrée au rapport de gestion), basée sur les normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) et certifiée par un auditeur, avec d’abord une assurance limitée puis, à terme, une assurance raisonnable.
Sur le plan du dialogue social, la France a clairement rattaché ces informations à la consultation du CSE : les élus doivent recevoir les documents et être consultés au moins dans le cadre d’une des trois consultations récurrentes.
L’objectif est de s’assurer que les indicateurs, les plans (par exemple, le climat) et la trajectoire ayant un impact sur l’emploi, les compétences, l’organisation du travail et l’investissement soient discutés avec les représentants du personnel.
À retenir :
La CSRD n’est pas qu’un sujet RSE/Finance : elle devient un sujet CSE, avec des documents à transmettre, une consultation et une traçabilité à organiser (BDESE, convocations, avis).
Ce que change la CSRD vs NFRD — périmètre, ESRS, certification
La CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) remplace la NFRD (Non-Financial Reporting Directive, la directive qui encadrait depuis 2014 la publication d’informations « non financières ») et, en France, met fin à la DPEF (Déclaration de performance extra-financière, transposition nationale de la NFRD) pour les grandes entreprises désormais couvertes par la CSRD.
Elle élargit fortement le périmètre (sociétés mères, filiales significatives, grandes entreprises et PME cotées, hors micro-entreprises), impose l’usage des ESRS : un corpus de normes détaillées couvrant l’environnement, le social et la gouvernance, ainsi que la double matérialité, impacts de l’entreprise sur la société et l’environnement, et effets financiers des enjeux de durabilité sur l’entreprise) et introduit une certification par un auditeur indépendant, d’abord avec une assurance limitée, appelée à évoluer vers une assurance plus exigeante.
Résultat : des données plus comparables, structurées et vérifiables.
Transposition par la France : jalons d’entrée en vigueur
La transposition française s’est faite par ordonnance du 6 décembre 2023, complétée par des décrets d’application en 2024, précisant notamment le régime de certification, l’intégration au rapport de gestion et l’articulation avec la BDESE et la consultation du CSE. Le calendrier reprend les paliers européens : premières publications en 2025 pour les entités déjà NFRD, extension en 2026/2027, puis 2029 pour certains groupes non-UE.
Obligation de consultation du CSE : ce que dit la loi
En France, l’employeur doit informer et consulter le CSE au moins une fois sur les informations de durabilité publiées au titre de la CSRD et sur les moyens de les obtenir et de les vérifier. Cette consultation s’inscrit au choix dans l’une des trois consultations récurrentes :
- Orientations stratégiques,
- Situation économique et financière,
- Politique sociale, conditions de travail et emploi.
Concrètement, il faut transmettre les documents de référence (déclaration de durabilité intégrée au rapport de gestion, rapport d’assurance de l’auditeur, etc.), mettre à jour la BDESE et planifier une réunion CSE avec un ordre du jour adapté. Les élus disposent d’un délai d’examen suffisant et doivent pouvoir vérifier la qualité et la fiabilité des informations (accès aux pièces, explications méthodologiques, réponses aux questions).
À retenir :
La consultation CSRD n’est pas une formalité. Sans documents, délais et moyens de vérification adéquats, le CSE peut saisir le juge (référé) pour obtenir communication, avec injonction et astreinte à la clé.
Au moins une consultation obligatoire (quoi + « moyens de les obtenir et de les vérifier »)
Le CSE est consulté sur :
- la déclaration de durabilité (contenu ESRS, double matérialité, plans de transition, trajectoires, objectifs, KPI),
- les méthodes de collecte (périmètre, outils, contrôles internes, rôles et responsabilités),
- les moyens de vérification (interne + audit externe : CAC/organisme accrédité, calendrier, livrables).
La consultation peut être intégrée à l’une des trois consultations récurrentes (souvent « orientations stratégiques » ou « politique sociale », selon l’impact RH/organisation).
Documents à transmettre (rapport de gestion, CAC, certification)
Mettre à disposition des élus, en amont de la réunion :
- Rapport de gestion incluant la déclaration de durabilité (CSRD/ESRS),
- Rapport d’assurance de l’auditeur (assurance limitée initiale) portant sur l’information de durabilité,
- Rapport des commissaires aux comptes sur les comptes (pour cohérence globale),
- Annexes utiles : cartographie de matérialité, plan de transition climat, politiques et procédures, méthodologies, périmètre consolidation durabilité.
Tableau - Documents à remettre au CSE (exemple)
Document | Finalité | Quand |
---|---|---|
Déclaration de durabilité (rapport de gestion) | Base de la consultation | J-15 à J-30 |
Rapport d’assurance (auditeur) | Crédibiliser les données | Dès disponibilité |
Cartographie de matérialité | Justifier les priorités ESRS | En amont |
Plan climat & trajectoires | Impacts emploi/compétences |
En amont |
BDESE : ce qui doit y figurer
La BDESE doit contenir les informations nécessaires aux consultations récurrentes, y compris environnement, emploi, investissements, formation, égalité, santé-sécurité, et désormais la déclaration de durabilité (ou un lien vers celle-ci) ainsi que le rapport d’assurance. Y ajouter : politiques RSE, objectifs, indicateurs clés et pièces justificatives (procédures, méthodo).
Calendrier & entreprises concernées
Le calendrier CSRD se lit en exercices (année de collecte) et dates de publication (année N+1). En synthèse : déjà concernées en 2024 (publication 2025) les entités anciennement NFRD ; extension à partir de 2025 pour d’autres grandes entreprises, puis aux PME cotées avec aménagements, et enfin aux groupes non-UE.
Tableau - Échéances (schéma général)
Exercice ouvert | Qui | Publication attendue |
---|---|---|
2024 | Grandes entités NFRD (>500 salariés, intérêt public) | 2025 |
2025 | Autres grandes entreprises (seuils CSRD) | 2026 |
2026 | PME cotées (opt-out possible un temps) | 2027 |
2028 | Groupes avec maison-mère hors UE (conditions) | 2029 |
Dès 1er janvier 2025 : grandes entreprises ciblées
À compter des exercices ouverts le 1er janvier 2025, entrent dans le champ les autres grandes entreprises répondant à 2/3 critères (effectif, total bilan, CA) et certaines sociétés mères consolidantes. Cela signifie des premières publications en 2026. Les groupes doivent coordonner la collecte filiales et la consolidation ESRS.
Paliers 2026/2027/2029
- 2026 → publication 2027 : PME cotées appliquent des ESRS adaptés, avec simplifications et phase-in.
- 2028 → publication 2029 : groupes non-UE au-delà de certains seuils UE devront publier un reporting équivalent CSRD.
- Des aménagements existent (dérogations temporaires, phase-in sur certains datapoints sensibles).
Mises à jour 2025
En 2025, la loi DDADUE (Diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne) a modifié certaines règles et sanctions en droit français. La Commission européenne a publié un “quick-fix” ESRS (European Sustainability Reporting Standards) pour clarifier les exigences, alléger celles des PME cotées et reporter certaines échéances. L’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) mène des consultations sur les ESRS sectoriels et sur des guides de matérialité. Suivez vos sources habituelles (Lefebvre Dalloz, EFRAG, Commission) pour ajuster votre planning.
Comment organiser la consultation du CSE (pas à pas)
Le bon réflexe : caler la consultation CSRD dans votre cycle annuel de gouvernance (calendrier budgétaire, audit, présentation des comptes) et orchestrer RSE, Finance, Juridique, RH et IRP.
Rétroplanning (collecte, consolidation, revue, certification, présentation CSE)
N-1 / T4 : Pré-cadrage
- Confirmer périmètre et matérialité (ESRS), saisir les besoins data (sites, filiales).
- Choisir/contracter l’auditeur (CAC ou prestataire accrédité).
- Bloquer un créneau CSE dans le cycle des consultations récurrentes.
N / T1 : Collecte & contrôles internes
- Déployer templates ESRS (E/S/G, qualitatif + quanti), data owners, piste d’audit.
- Mettre à jour la BDESE (rubriques environnement/emploi/égalité/formation + page « Durabilité »).
- Informer le Bureau du CSE du calendrier.
N / T2 : Consolidation & brouillon
- Consolider indicateurs, rédiger politiques, actions, objectifs (ESRS 2).
- Boucler le brouillon de déclaration (dans le rapport de gestion).
- Partager au Juridique (revue risques, conformité).
N / T3 : Audit & ajustements
- Lancer la revue d’assurance limitée (tests, demandes de preuves).
- Traiter les findings (cohérence, traçabilité), figer le texte.
N / T3-T4 : Consultation CSE
- Transmission des documents (J-15 à J-30), réunion CSE, Q&A.
- Recueillir l’avis (unique ou avis distinct sur la durabilité si choisi).
- PV + BDESE mis à jour (documents définitifs & rapport d’assurance).
Astuce planning
Alignez la consultation CSRD avec l’orientation stratégique si votre plan climat impacte emploi/compétences, ou avec la politique sociale si vous présentez beaucoup d’indicateurs S1 (temps de travail, santé-sécurité, formation).
Qui fait quoi ? (RSE, Finance, Juridique, RH, IRP)
- RSE : matérialité, collecte ESRS, rédaction (politiques, objectifs), coordination audit.
- Finance/Contrôle : consolidation, systèmes, cohérence comptes ↔ durabilité, piste d’audit.
- Juridique/Conformité : conformité CSRD/transposition, risques, validation déclarations.
- RH : indicateurs S1 (emploi, formation, rémunération, égalité, santé-sécurité), plans compétences.
- IRP (Instances représentatives du personnel, tel que CSE) : réception docs, questions, avis, propositions.
- Direction Générale : arbitrages, objectifs, ressources.
- Mini-RACI : RSE (R), Finance (A), Juridique (C), RH (R/C), CSE (I/C), DG (A).
Ordre du jour type + trame de note de synthèse au CSE
Ordre du jour (exemple)
- Présentation de la déclaration de durabilité (périmètre, matérialité, principaux enjeux)
- Objectifs et plans (climat, social, chaîne de valeur)
- Indicateurs clés (E/S/G) et trajectoires
- Audit/assurance : périmètre, résultats, recommandations
- Impacts sociaux (emploi, conditions de travail, compétences)
- Questions/Réponses - Avis du CSE
Note de synthèse (trame)
- Contexte CSRD & périmètre
- Résultats de matérialité (top enjeux)
- Principales politiques/actions & objectifs (E/S/G)
- KPI clés (année N, base N-1, cible N+3/N+5)
- Plan climat & impacts RH (formation, GPEC)
- Méthodologie, limites, assurance (constats majeurs)
- Points soumis à avis / décisions
Preuves & traçabilité (BDESE, convocations, avis distinct si choisi)
- BDESE : déposez documents, dates, versions, preuve de lecture (journal d’accès).
- Convocation & ODJ : conservez emails/AR, date/heure, pièces jointes.
- Avis du CSE : insérez dans le PV ; si vous optez pour un avis distinct « Durabilité », conservez la résolution.
- Piste d’audit : gestion documentaire (versioning), réponses aux questions, engagements de suivi.
Checklist documents & points ESRS utiles aux élus
À verser au CSE/BDESE
- Déclaration de durabilité (intégrée au rapport de gestion).
- Rapport d’assurance (auditeur : assurance limitée).
- Cartographie de double matérialité + périmètre consolidation.
- Politiques/Actions/Objectifs (ESRS 2) et plans (ex. climat).
- KPI clés, avec méthode et limites (année N et comparatifs).
- Annexes : méthodologies (ex. empreinte carbone), procédures de contrôle interne.
Points ESRS à prioriser pour le dialogue social
- E1 Climat : plan de transition, objectifs GES, CAPEX/OPEX alignés, effets sur emplois/compétences.
- S1 Salariés : effectifs, conditions de travail, santé-sécurité, turnover, formation, égalité F/H, rémunération, dialogue social.
- S2 Chaîne de valeur : clauses sociales, audits fournisseurs (impact emploi local).
- G1 Conduite des affaires : gouvernance RSE, rôles CA/direction, alertes éthiques.
- Transversal ESRS 2 : politiques, processus de due diligence, risques/opportunités, objectifs & cibles.
A retenir
Construisez une page BDESE “Durabilité (CSRD)” avec liens rapides vers : déclaration, rapport d’assurance, plan climat, KPI sociaux, cartographie de matérialité et méthodo.
Risques, sanctions & bonnes pratiques de dialogue social
Risques de non-information (référé, injonction, astreinte)
Si les documents ne sont pas communiqués ou si la consultation est vidée de sa substance (absence de délais, absence de moyens de vérification), le CSE peut saisir le juge en référé pour ordonner la transmission des informations, avec injonction et astreinte. Parallèlement, il existe des risques de contentieux pour entrave, de tensions sociales et de risques réputationnels si vos engagements RSE ne sont pas étayés.
Bonnes pratiques (calendrier, pédagogie, formation élus, Q&A)
- Planifiez tôt (calendrier partagé RSE/Finance/Juridique/RH/CSE).
- Pédagogie : note de synthèse claire (enjeux, impacts RH, limites).
- Formation des élus aux ESRS (focus S1/E1) et à la matérialité.
- Q&A structuré : tracez les questions/réponses et engagements.
- Amélioration continue : bouclez les recommandations d’audit dans le plan d’action.