Introduction : de quoi parle‑t‑on ?
Le comité social et économique (CSE) gère chaque année, pour des millions de salariés, un budget consacré aux activités sociales et culturelles (ASC) : subventions vacances, billetterie à tarif réduit, chèques cadeaux, etc.
Pendant des décennies, beaucoup de comités ont appliqué un délai de « carence », généralement de trois à six mois, avant d’ouvrir ces avantages aux nouveaux embauchés. Cette pratique, longtemps tolérée par l’URSSAF, vient d’être remise en cause par une décision majeure de la Cour de cassation et par une prise de position de l’URSSAF qui imposent de supprimer toute obligation d’ancienneté d’ici le 31 décembre 2025.
Les règles d’ancienneté avant l’arrêt du 3 avril 2024
Jusqu’au printemps 2024, la doctrine administrative admettait qu’un CSE puisse exiger jusqu’à six mois d’ancienneté pour bénéficier des ASC sans perdre l’exonération de cotisations sociales attachée à ces prestations.
Cette souplesse se fondait sur une note de l’URSSAF et sur diverses jurisprudences de cours d’appel qui estimaient que l’ancienneté constituait un critère objectif, non discriminatoire, dès lors qu’il était appliqué à tous les salariés de façon uniforme.
La décision de la Cour de cassation et son raisonnement
Le 3 avril 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation a cassé cette approche : dans l’affaire opposant la CGT au CSE de Groupama, la Haute juridiction retient que l’article L.2312‑78 du Code du travail garantit « le droit de l’ensemble des salariés et stagiaires à bénéficier des ASC » et qu’aucune condition d’ancienneté ne peut les priver de ce droit. Le critère, même limité à six mois, est jugé discriminatoire car il exclut de facto les nouveaux entrants de la totalité des prestations.
La Cour souligne que les CSE conservent la possibilité de moduler le montant des avantages, mais uniquement sur la base de critères sociaux transparents — quotient familial, revenu fiscal de référence, nombre d’enfants, etc. — et jamais sur un critère lié à la présence ou au statut professionnel.
La réaction de l’URSSAF et le délai au 31 décembre 2025
Moins de quatre mois plus tard, l’URSSAF Caisse nationale a publié, le 30 juillet 2024, une actualité confirmant l’interdiction et accordant un délai aux entreprises : les CSE devront avoir supprimé toute condition d’ancienneté à compter du 1ᵉʳ janvier 2026.
Passé cette date, le moindre contrôle entraînera, non seulement une demande de mise en conformité immédiate, mais surtout la remise en cause de l’exonération de cotisations sur les prestations concernées, avec un risque rétroactif sur trois ans.
Conséquences pratiques pour les CSE
Élargissement automatique du public bénéficiaire
Chaque nouvelle embauche (y compris les stagiaires) acquiert les mêmes droits dès le premier jour de contrat, sauf modulation licite.
Révision des documents internes
Les dispositions relatives aux ASC figurent souvent dans le règlement intérieur du CSE ou dans des notes de service. Elles doivent être modifiées sans délai et portées à la connaissance de l’ensemble des salariés.
Communication
Il est conseillé de publier un mémo clair — questions‑réponses, infographie, page intranet — expliquant la nouvelle règle, afin d’éviter des réclamations individuelles.
Adaptation des outils RH
Les logiciels de gestion des ASC (billetterie, chèques cadeaux, plateformes d’avantages) fonctionnent fréquemment avec des filtres d’ancienneté. Ils devront être désactivés ou remplacés.
Impacts financiers et budgétaires
L’extension du périmètre des ayants droit peut représenter un surcoût significatif. D’après les retours de plusieurs cabinets d’audit spécialisés auprès des CSE, la hausse potentielle varie entre 5 % et 12 % du budget ASC la première année, selon le turn‑over de la structure et la saisonnalité des embauches. Pour absorber l’impact :
- Lissage des attributions : passer d’un versement annuel à une répartition trimestrielle ou mensuelle permet d’étaler la charge.
- Plafonds dégressifs : moduler le montant des prestations en fonction du revenu ou du quotient familial, pratique validée par la jurisprudence.
- Renégociation des subventions : lorsque le budget ASC est abondé par l’employeur au‑delà du minimum légal, un avenant à l’accord de fonctionnement peut être envisagé pour tenir compte de l’évolution des effectifs bénéficiaires.
Risques juridiques et fiscaux en cas de non‑conformité
Le non‑respect de l’échéance du 31 décembre 2025 expose le CSE et l’entreprise à plusieurs types de risques :
- Redressement URSSAF : rappel de cotisations sur les avantages versés aux salariés exclus illégalement, avec majorations et pénalités.
- Contentieux prud’homal : tout salarié privé d’un avantage peut saisir le conseil de prud’hommes pour discrimination et demander des dommages‑intérêts.
- Atteinte à l’image employeur : l’exclusion de nouveaux salariés des prestations sociales pénalise la marque employeur et peut accroître le turn‑over.
Ce qui ne change pas : électorat et éligibilité au CSE
Il est crucial de distinguer les règles relatives aux ASC et celles qui gouvernent les élections professionnelles. L’article L 2314‑18 impose toujours trois mois d’ancienneté pour être électeur, et l’article L 2314‑20 maintient le seuil d’un an pour être éligible. L’abrogation de l’ancienneté décidée par la Cour de cassation ne concerne que l’accès aux avantages sociaux ; elle ne modifie en rien le droit électoral du CSE.
Plan d’action pour se mettre en conformité

Conclusion et perspectives après 2025
Au‑delà de l’obligation juridique, la suppression du délai d’ancienneté traduit une évolution sociétale : l’égalité d’accès aux avantages sociaux dès l’embauche devient une composante de l’attractivité de l’entreprise. Alors que le marché du travail valorise la mobilité et les parcours courts, priver les néo‑salariés de prestations collectives aurait envoyé un signal négatif.
La date butoir du 31 décembre 2025 doit être saisie comme l’occasion d’une remise à plat globale des politiques ASC : clarification des critères, digitalisation des process et alignement avec les objectifs RSE. Les CSE qui anticiperont ces changements consolideront leur légitimité et renforceront la cohésion sociale dès l’intégration des nouveaux collaborateurs.